L'usage de drogues – licites et illicites – par les personnes détenues est reconnu comme une priorité de santé publique en France, mais également à l'échelle internationale. De nombreux chercheurs ont souligné l'importance de la consommation de drogues par les détenus, ainsi que leur surexposition aux risques infectieux. En France, les données de prévalence sur l'usage de drogues par les personnes incarcérées reposaient jusqu'à récemment sur des enquêtes anciennes.
Deux premières enquêtes sur la santé des entrants en prison ont été menées par la DREES en 1997 et 2003 auprès, respectivement, d'échantillons représentatifs de plus de 8 700 et 6000 détenus entrants en maison d'arrêt. Ces deux enquêtes offrent un aperçu des consommations de substances psychoactives à l'entrée en détention et (dans les 12 mois précédant l'incarcération pour les substances illicites). Si ces enquêtes étaient représentatives à l'échelle nationale, elles ne renseignaient cependant pas le devenir de ces comportements de consommation durant la détention. Plus récemment, d'autres enquêtes ont complété ces travaux, comme, par exemple, l'enquête COSMOS réalisée en 2015-2016 au sein des maisons d'arrêt de la région Pays de la Loire. Cependant, toutes souffrent d'un manque de représentativités des personnes incarcérées au niveau national car limité à un territoire ou un type d'établissement.
Ces études ont également souligné les difficultés rencontrées lors de la réalisation d'enquêtes en prison, liées à la surpopulation, la promiscuité, la diffusion rapide de rumeurs, qui n'offrent pas facilement un cadre propice à l'instauration d'un climat de confiance avec l'enquêté. Ces difficultés sont renforcées sur la question des drogues : la crainte des sanctions et de la stigmatisation de la part d'autres personnes incarcérées sont susceptibles de constituer un obstacle à l'interrogation des personnes détenues. Dans ce contexte, garantir l'anonymat des réponses et la confidentialité devient un véritable défi.
Pour combler cette lacune, l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), fort de son expérience, a mené en 2023 la première édition de l'Enquête sur la santé et les substances en prison (ESSPRI). Cette enquête statistique, auprès des personnes détenues, s'appuie sur un échantillon aléatoire de 1094 détenus hommes, issus de près de 30 quartiers pénitentiaires en France, représentatifs de tous les types d'établissements et de toutes les durées de peine. L'objectif de l'enquête est double. Elle vise à établir un protocole qui soit facilement reproductible, et à proposer une première quantification en prison des consommations de drogues (tabac, alcool, cannabis, cocaïne, héroïne, etc.). Réalisée selon une méthodologie comparable à celle des enquêtes en population générale, elle offre, en outre, une comparaison des comportements de consommation avec la population non incarcérée. L'enquête s'inscrit, par ailleurs, dans des travaux similaires menées dans différents pays européens, dans le cadre du questionnaire européen sur l'usage de drogues chez les personnes vivant en prison (EQDP).
Cette communication abordera un certain nombre de questions méthodologiques et éthiques liées au protocole de l'enquête ESSPRI. Elle présentera ensuite les principaux résultats d'ESSPRI concernant les niveaux d'usage de drogues (tabac, alcool, cannabis, cocaïne, crack, ecstasy, héroïne) pour finir sur quelques éléments de comparaison internationale.
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